La protection de l’enfant dans l’espace numérique est au cœur de l’actualité.
Action innocence est active depuis plus de 25 ans dans la prévention liée à
l’impact des écrans sur les enfants et les jeunes en Suisse Romande. Quelles
évolutions avez-vous observé au fil du temps ?
Il y a 25 ans, les risques étaient déjà présents : des individus malintentionnés pouvaient contacter des enfants via Internet, mais l’accès aux outils numériques était plus limité, souvent restreint à l’ordinateur familial situé dans un espace commun. Progressivement, l’écran est passé du salon à la chambre pour finalement arriver jusque dans la poche de chacun∙e. Aujourd’hui, cette disponibilité en tout temps et en tout lieu a entraîné une augmentation de la durée d’utilisation et une plus grande exposition à une multitude de risques. A la mauvaise rencontre, s’ajoutent à présent l’exposition à des images choquantes ou illégales, la désinformation, l’exploitation des données personnelles ou encore le cyberharcèlement et le sexting (nudes). Par ailleurs, cet accès facilité se fait de manière de plus en plus précoce et sans accompagnement. Le multi-équipement dans les foyers rend la régulation plus complexe, car les enfants ont accès à une variété d’appareils et d’applications.
Face à cette réalité, la question que les parents et les accompagnant∙es doivent se poser a évolué. Il ne s’agit plus de se demander « si mon enfant sera confronté∙e à du contenu ou à des personnes malintentionnées » mais bien « quand et comment la ou le protéger? ». Dans ce contexte, il est illusoire de vouloir tout contrôler. La priorité est désormais de développer l’esprit critique des jeunes pour leur permettre d’identifier les risques, de faire preuve de discernement et de savoir demander de l’aide en cas de besoin.
Dès ses débuts, Action Innocence a joué un rôle pionnier en allant dans les écoles mener des ateliers de prévention auprès des élèves. A ce jour, en parallèle au déploiement du plan d’études romand en éducation numérique, ses actions ont évolué pour intégrer la formation des adultes qui accompagnent les enfants – parents, professionnel∙les de l’éducation de la santé et du social – afin de leur donner les clés pour répondre aux défis liés à une société hyperconnectée. L’objectif est de renforcer leur capacité d’action dans leur champ d’influence en leur fournissant des outils concrets et adaptés à l’évolution constante des technologies. Chacun·e a un rôle à jouer pour créer un environnement numérique plus sûr pour les jeunes générations.
Enfin, face à l’ampleur des enjeux, la Fondation favorise une approche globale et collective. La protection des enfants dans l’espace numérique ne peut pas être l’affaire de quelques expert∙es : elle doit impliquer l’ensemble de la société. Action Innocence a initié des groupes de réflexion réunissant des spécialistes afin de réfléchir ensemble à de nouvelles initiatives cohérentes et concertées. Il s’agit de partager les pratiques afin de diffuser des messages clairs et communs aux jeunes et aux adultes qui les entourent.
La recherche a pris de l’importance dans les activités d’Action Innocence
depuis 2018. Quelles connaissances avez-vous pu mettre en évidence et
comment ces résultats sont-ils transférés dans vos pratiques ?
Il est essentiel de soutenir et de développer la recherche sur les pratiques numériques et leurs effets. Ce champ d’étude est encore relativement récent et, pour être efficace, la prévention doit s’appuyer sur des données qui reflètent le contexte réel dans lequel évoluent les enfants et leur famille. Collecter des données sur les habitudes d’utilisation des écrans au sein des foyers suisses permet à Action Innocence de développer ses messages de prévention.
La dernière recherche initiée et soutenue par la Fondation traite des effets des écrans sur le développement des enfants de 0 à 3 ans. Celle-ci a mis en lumière l’importance de l’environnement familial : plus les pratiques numériques sont encadrées et accompagnées, moins elles ont d’effets négatifs sur les jeunes enfants. Par ailleurs, l’étude a permis d’identifier un facteur souvent sous-estimé : l’exposition indirecte des enfants aux écrans à travers les usages des adultes qui les entourent. Ce phénomène, connu sous le nom de « technoférence » met en lumière les interruptions fréquentes dans les interactions entre un parent et son enfant par l’utilisation d’un écran. Celles-ci interfèrent avec la dynamique de jeu et la relation parent-enfant. Il est également important de souligner l’importance de l’exemplarité de la part des adultes. Les enfants apprennent principalement par mimétisme et les comportements numériques des parents influencent directement leur rapport aux écrans. Les interventions d’Action Innocence visent à déplacer l’attention des seuls usages des enfants vers une approche plus globale, en tenant compte du contexte familial et de l’ensemble des interactions.
La Fondation encourage ainsi les adultes, les parents et les professionnel∙les à assumer un rôle de modèle positif en promouvant des activités alternatives et en mettant l’accent sur les besoins fondamentaux des enfants. L’usage des technologies numériques ne devrait pas être considéré comme une nécessité pour le développement des jeunes enfants, mais plutôt comme un outil pouvant s’inscrire dans un équilibre global, toujours choisi et jamais imposé.
Les résultats de l’étude ont permis à Action Innocence de faire évoluer ses programmes de prévention en tenant compte du contexte dans lequel vivent les familles aujourd’hui et ainsi mieux répondre à leurs véritables besoins.
Entre craintes et espoirs, opportunités et risques où en est-on aujourd’hui et
quels sont les messages à retenir pour les professionnel·les du domaine
enfance et jeunesse ?
L’accompagnement des enfants et adolescent∙es dans leur utilisation des écrans est absolument essentiel. Il est de la responsabilité des adultes d’apprendre aux jeunes à utiliser les outils numériques et d’encadrer leurs usages pour leur permettre d’évoluer et de s’épanouir dans une société hyperconnectée, en constante évolution, et qui se dématérialise de plus en plus.
Cependant, un encadrement ne peut se faire qu’en adoptant une posture non-jugeante et non-diabolisante. Les adultes doivent reconnaître que leurs propres représentations, potentiellement négatives, et leurs préoccupations peuvent influencer leur perception des pratiques numériques des jeunes et empêcher le dialogue. En identifiant ces représentations et en les remettant en question, elles et ils peuvent favoriser des échanges ouverts et respectueux, propices à un accompagnant soutenant et efficace.