La Déclaration universelle des droits de l’enfant aussi appelée Déclaration de Genève a fêté ses 100 ans dernièrement. En quoi était-elle novatrice à l’époque et dans quel but a-t-elle été adoptée en 1924? De quelle manière reste-t-elle d’actualité aujourd’hui?
La Déclaration de Genève de 1924, souvent considérée comme la première déclaration internationale des droits de l’enfant, a marqué une étape novatrice dans la reconnaissance des besoins spécifiques et des droits des enfants. Ce texte, adopté par la Société des Nations et rédigé par Eglantyne Jebb, fondatrice de l’organisation Save the Children, répondait aux conséquences dévastatrices de la Première Guerre mondiale sur les enfants, notamment la famine, la pauvreté et la négligence. Bien que la Déclaration de Genève n’ait pas de force contraignante, elle a introduit une éthique de responsabilité collective envers les enfants. Elle a également jeté les bases des documents internationaux ultérieurs, notamment la Déclaration des droits de l’enfant de 1959 et la Convention relative aux droits de l’enfant de 1989.
Selon les travaux de la Dre Zoé Moody, spécialiste de l’histoire et de l’évolution des droits de l’enfant, cette déclaration se distingue par son caractère pionnier à plusieurs égards. Elle marque une étape importante en mettant l’accent sur l’enfant en tant qu’individu ayant des besoins spécifiques. Pour la première fois, un texte international reconnaît que les enfants, en raison de leur vulnérabilité, nécessitent une attention particulière. Il affirme des principes fondamentaux tels que le droit à la subsistance, à l’éducation et à la protection contre l’exploitation. Cette déclaration repose également sur une vision humanitaire universelle, où les besoins des enfants sont considérés comme prioritaires, au-delà des frontières nationales, des conflits ou des distinctions sociales. Elle appelle à une coopération internationale pour protéger les enfants et répondre à leurs besoins essentiels.
En somme, la Déclaration de Genève de 1924 a été une avancée majeure pour son époque, initiant une prise de conscience mondiale sur l’importance de protéger les enfants et de répondre à leurs besoins spécifiques. Elle reste d’actualité en constituant les bases des droits fondamentaux des enfants, en rappelant la responsabilité collective envers leur bien-être et en inspirant des cadres juridiques modernes, tels que la Convention relative aux droits de l’enfant de 1989. Ses principes continuent de guider les actions en faveur des enfants vulnérables dans le monde.
La Convention de l’ONU relative aux droits de l’enfant (CDE) a été signée et ratifiée par la Suisse il y a presque 35 ans. Quels sont les principaux défis de sa mise en œuvre et sur quels aspects la Suisse doit-elle s’améliorer?
L’adoption de la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE) en 1989 a marqué une étape majeure dans la reconnaissance des enfants comme titulaires de droits. En 35 ans, elle a influencé les cadres internationaux et nationaux, intégrant ces droits dans les lois, politiques et institutions. Les principes de la CDE sont devenus des normes universelles, soutenues par des mécanismes comme le Comité des droits de l’enfant et des études onusiennes sur des enjeux clés (violence, conflits armés, privation de liberté). L’adoption de la CDE a aussi profondément transformé le monde académique, donnant naissance à un domaine interdisciplinaire désormais reconnu sous le nom de Children’s Rights Studies. Ce champ épistémologique, à la croisée du droit, des sciences sociales, des sciences politiques, de l’éducation et de la psychologie, a émergé pour répondre à la nécessité d’analyser et de promouvoir les droits de l’enfant dans toute leur complexité.
Globalement, au niveau national, la réforme législative a renforcé la protection des enfants dans des domaines comme l’éducation, le droit de la famille et la santé. La prise de conscience accrue de la violence envers les enfants a conduit à élargir les définitions des infractions sexuelles et à améliorer les protections juridiques. Par ailleurs, plus de 200 Institutions indépendantes des droits de l’enfant (IIDE) dans 70 pays servent d’outils essentiels pour demander des comptes aux gouvernements. Bien que leurs modèles varient, ces institutions ont démontré le potentiel d’une surveillance localisée. Enfin, la participation des enfants progresse dans les écoles, tribunaux, systèmes de santé et débats publics, reflétant une reconnaissance croissante de leur rôle.
En Suisse, depuis la ratification de la CDE, en 1997, des progrès notables en faveur des droits des enfants ont été accomplis. Depuis les années 1990, la Suisse a entrepris d’adapter ses lois et politiques aux principes de la CDE. Par exemple, la révision du Code civil, en 2007, a renforcé la protection des enfants en introduisant le droit d’audience des mineurs dans les procédures judiciaires et en réformant les règles de garde. De même, la révision de la loi sur l’asile, en 2008, a instauré des garanties supplémentaires pour les mineurs non accompagnés, notamment l’obligation de désigner un représentant légal. Sur le plan institutionnel, la création, en 2017, de la Conférence pour la politique de l’enfance et de la jeunesse (CPEJ) a marqué une avancée importante, facilitant une meilleure coordination entre les cantons et la Confédération pour assurer une cohérence accrue dans les politiques publiques. À l’international, la Suisse a réaffirmé son engagement en ratifiant, en 2014, le Protocole facultatif à la CDE établissant une procédure de communication, permettant aux enfants ou à leurs représentants de saisir le Comité des droits de l’enfant en cas de violation. En outre, plus récemment, le 17 janvier 2025, la Commission des affaires juridiques du Conseil national propose d’interdire explicitement le recours à la violence dans l’éducation des enfants en intégrant ce principe dans le Code civil suisse. Cela inclut l’interdiction des châtiments corporels et autres traitements dégradants. L’inscription de cette interdiction dans la loi contribuerait non seulement à la diffusion de la culture de l’éducation non violente, mais aussi au renforcement de l’engagement de la Suisse en faveur de la protection des enfants contre tout mauvais traitement et marquerait une étape clé dans l’application des normes juridiques internationales en matière de droits de l’homme et des recommandations du Comité des droits de l’enfant.
Cependant, ces progrès masquent des lacunes structurelles importantes qui entravent la pleine réalisation des droits des enfants en Suisse (Lachat-Clerc, 2018). Le défi principal réside dans l’absence d’une institution indépendante dédiée aux droits de l’enfant (IIDE). Comme l’a souligné l’étude de Ruggiero et al. du 2023, une telle institution est essentielle pour surveiller la mise en œuvre de la CDE, par l’État, traiter les plaintes individuelles en les transmettant à l’autorité compétente ou en assurant une intermédiation et garantir la participation des enfants.
Actuellement, la fragmentation des responsabilités entre les cantons rend difficile une approche cohérente, exacerbant les disparités territoriales (Comité des droits de l’enfant des Nations Unies, 2021). En outre, la participation des enfants aux décisions qui les concernent reste limitée. Dans les procédures judiciaires ou administratives, comme les placements en famille d’accueil ou les divorces parentaux, leur voix est rarement entendue. Cette exclusion reflète un manque d’attention systémique à leurs besoins spécifiques (Réseau suisse des droits de l’enfant (RSDE), 2022). La sensibilisation insuffisante aux droits de l’enfant parmi les professionnels et le public aggrave également la situation Ruggiero et al. du 2023. Ce déficit d’information réduit l’impact des politiques et limite l’accès des enfants vulnérables, comme les enfants migrants ou en situation de handicap, aux services de soutien. Enfin, l’absence d’un système centralisé de collecte et d’analyse des données complique la tâche des décideurs. Comme le notent Ruggiero et Combremont (2018), l’élaboration de politiques publiques efficaces repose sur des données probantes et une approche coordonnée. Sans un cadre statistique solide, il reste difficile d’évaluer les progrès réalisés et de corriger les insuffisances.
Cependant, afin de mieux cibler les lacunes du système suisse, notamment le manque de coordination entre cantons, la fragmentation des responsabilités, et l’inaccessibilité des services pour les enfants vulnérables, plusieurs recommandations s’imposent. La création d’une institution indépendante pour les droits de l’enfant conforme aux Principes de Paris apparaît essentielle pour superviser et promouvoir efficacement les droits de l’enfant. Parallèlement, il est crucial de renforcer les mécanismes permettant aux enfants d’être systématiquement consultés dans les décisions qui les concernent. Une meilleure sensibilisation et formation des professionnels, combinée à des campagnes d’information, favoriserait également une compréhension accrue des droits de l’enfant. En outre, la centralisation des données sur les enfants permettrait d’évaluer l’impact des politiques et d’orienter les réformes. Enfin, une harmonisation des pratiques entre les cantons réduirait les inégalités et garantirait une mise en œuvre uniforme des droits de l’enfant à travers le pays.
Quel est le rôle du Centre interfacultaire des droits de l’enfant (CIDE) de l’Université de Genève dans le domaine des droits de l’enfant et leur mise en œuvre?
Le Centre interfacultaire en droits de l’enfant (CIDE) de l’Université de Genève, situé à Sion, est une entité académique spécialisée dans les études interdisciplinaires en droits de l’enfant. À travers ses activités de recherche, d’enseignement et de services à la cité, le CIDE analyse les questions touchant l’enfance en tant que groupe social et l’enfant comme acteur et sujet de droits. Son approche interdisciplinaire combine théorie et pratique pour répondre à la complexité croissante des problématiques liées aux droits de l’enfant.
Le CIDE joue un rôle clé en Suisse et à l’international, en reliant la recherche académique, la formation professionnelle et la diffusion des connaissances scientifiques pour promouvoir la mise en œuvre des droits de l’enfant. Le CIDE propose notamment la Maîtrise universitaire interdisciplinaire en droits de l’enfant (MIDE), une formation académique unique qui combine droit, psychologie, sociologie et autres disciplines pertinentes pour offrir une compréhension approfondie des droits de l’enfant. En matière de formation postgrade, le CIDE agit à travers la Children’s Rights Academy (CRA), qui propose des programmes spécialisés comme le Master of Advanced Studies in Children’s Rights (MCR). Ce programme, très renommé, attire des professionnels du monde entier et leur fournit les outils théoriques et pratiques nécessaires pour défendre et promouvoir efficacement les droits de l’enfant dans leurs domaines d’activité. Grâce à ces formations complémentaires, le CIDE étend son impact bien au-delà de la sphère académique, en formant les professionnels d’aujourd’hui et de demain.
Par ailleurs, le CIDE agit comme un conseiller stratégique auprès des gouvernements, des organisations internationales et des ONG. Grâce à son expertise, il contribue à l’élaboration et à la mise en œuvre de politiques, institutions et pratiques conformes aux droits de l’enfant. En Suisse, il joue un rôle déterminant en soutenant les autorités dans leurs obligations vis-à-vis des standards internationaux.