Amarda Thanasi

Séparations parentales conflictuelles

Amarda Thanasi, cheffe du Service d’évaluation et d’accompagnement de la séparation parentale (SEASP) de la Direction générale de l’office de l’enfance et de la jeunesse du canton de Genève, mai 2024

Les séparations parentales conflictuelles sont une problématique qui occupe passablement les services de protection. À qui s’adresse le Service d’évaluation et d’accompagnement de la séparation parentale (SEASP) et que propose-t-il?

Les missions et prestations du SEASP se fondent essentiellement sur l’Art. 15 (soutien à la parentalité) et l’Art. 24 (audition de mineurs et rapport d’évaluation) de la Loi sur l’enfance et la jeunesse (LEJ), entrée en vigueur le 19 mai 2018. Le SEASP a pour mission d’informer, orienter et conseiller des couples de parents d’enfants mineurs, en lien avec les problématiques post-séparation, notamment dans une optique de prévention de l’enlisement du conflit parental. Il a également pour mission, sur mandat des autorités judiciaires – Tribunal de première instance (TPI) et Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant (TPAE) -, d’évaluer les situations et d’en faire rapport aux mandants précités, ainsi que de précéder à l’audition de mineurs.

Les parents se présentent spontanément au SEASP

A toutes les étapes d’une séparation ou d’un divorce, le SEASP offre soutien et conseils pour l’organisation de la prise en charge de l’enfant par ses parents séparés ou divorcés. Pour ce faire, la permanence du SEASP propose notamment un accompagnement parental sur une période de trois mois. Dans ce laps de temps, l’intervenant en protection de l’enfant peut, par exemple, accompagner les parents dans la recherche d’accords au sujet de la prise en charge de leur enfant, seul ou en collaboration avec des partenaires externes du domaine de la médiation, du soutien à la coparentalité et de la thérapie. Cet accompagnement peut notamment mener à l’établissement d’un calendrier de prise en charge de l’enfant, et ce, sans passer par l’intervention d’une instance judiciaire.

Les parents sont en procédure devant un tribunal qui mandate le SEASP aux fins de réaliser une évaluation sociale

A la demande du Tribunal de première instance ou du Tribunal de protection de l’enfant et de l’adolescent, les parents sont reçus par un intervenant en protection du SEASP, qui établit le rapport d’évaluation sociale à l’intention des tribunaux et procède à l’audition de l’enfant en cas de délégation à ce titre. Au préalable, les parents sont conviés à participer à une séance d’information et de sensibilisation collective sur le thème de la séparation parentale et des besoins de leur enfant dans ce contexte. Par ailleurs, dans le cadre du mandat d’évaluation, le SEASP accompagne les parents dans la recherche de solutions concertées et adaptées aux besoins de leur enfant, si nécessaire en collaboration avec les organismes de médiation, de soutien à la parentalité ou de thérapie. Le rapport renseigne le juge sur la situation de la famille et l’aide à se faire sa propre opinion sur les décisions qu’il sera amené à prendre relatives à l’attribution des droits parentaux et à l’organisation des relations personnelles entre l’enfant et le parent non-gardien. Le SEASP préavise également sur l’opportunité d’instaurer des mesures de protection en faveur de l’enfant.

Le service existe depuis 2017 dans le canton de Genève, pourriez-vous revenir sur la genèse de ce service?

Le SEASP a été créé à l’issue d’une réflexion transversale, menée au sein du Service de protection des mineurs (SPMi),  guidée par la persistance de certains constats, dont l’accroissement du taux des divorces, la volonté politique de réviser le droit de la famille, l’absence de dispositifs étatiques de prévention des conflits parentaux et de promotion de la coparentalité, les répercussions sérieuses sur le développement des enfants, et plus globalement l’important coût social, de la haute conflictualité post-séparation.

Une étude exploratoire, menée au sein du SPMi en 2010, a, d’une part, montré qu’environ 40% des demandes faites à la permanence du SPMi concernaient des conflits parentaux post-séparation et, d’autre part, que 40% des mesures de curatelle d’organisation et de surveillance des relations personnelles relevaient également des problématiques relationnelles post-séparation entre les parents et qu’elles ne s’avéraient pas être un outil suffisamment efficace pour traiter les situations hautement conflictuelles.

Partant de ces constats, et s’inspirant des modèles consensuels de prise en charge précoce des conflits post-séparation (cf. pratique de Cochem, médiation ordonnée) adoptés, avec des résultats concluants par ailleurs, en Amérique du Nord, dans divers pays de l’Europe occidentale, mais également dans certains cantons alémaniques (dont Bâle et Saint-Gall), l’adaptation et la création des nouvelles prestations du SEASP a visé les objectifs suivants :

  • Développement d’un dispositif de soutien et d’accompagnement aux parents pour une prise en charge précoce des séparations conflictuelles.
  • Mise en œuvre d’un modèle d’intervention spécifique, basée sur le consensus parental, durant le processus d’évaluation sociale.
  • Elaboration d’un programme d’information et de sensibilisation destiné à tout parent ayant engagé une procédure matrimoniale

Ceci dans la perspective d’une prévention de l’enlisement des conflits parentaux post-séparation et d’un renforcement de l’intervention socio-thérapeutique en amont de l’intervention de protection du SPMi, avec des bénéfices multiples pour :

  • LES ENFANTS : réduire au maximum et dans les plus brefs délais les tensions familiales, éviter que le conflit entre les parents ne se cristallise, permettre l’accès régulier à chacun des parents.
  • LES PARENTS : épargner les conséquences morales et financières de longs et coûteux procès, conforter les parents dans leurs aptitudes parentales et dans leur autonomie, les rendre acteurs des solutions trouvées et leur permettre de collaborer dans les tâches éducatives.
  • LES COLLECTIVITÉS : réaliser des économies grâce à des procédures matrimoniales moins lourdes, à une moindre intervention des services publics, aux recours moins nombreux contre les décisions des Tribunaux et de l’administration. 

Comment l’intervention du SEASP permet-elle une meilleure prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant lors de séparations parentales conflictuelles?

Depuis leur déploiement, les prestations du SEASP ont eu pour objectif de favoriser la prise en charge précoce des séparations parentales conflictuelles en renforçant la prévention et l’intervention socio-thérapeutique en amont de l’éventuelle intervention de protection du Service de protection des mineurs. Le postulat de base qui conduit les actions des intervenants en protection de l’enfant se veut humaniste dans le sens où il est considéré que les parents sont les premiers spécialistes des besoins de leur enfant et qu’ils font de leur mieux pour les préserver au travers de la crise de séparation qu’ils traversent.

Dans ce contexte, et en cas de désaccord, le rôle des services étatiques est prioritairement celui de les soutenir afin qu’ils organisent de manière concertée et adaptée la prise en charge de leur enfant et qu’ils se réapproprient, le cas échéant, leur rôle clé de parents, parfois mis à mal par l’ampleur du conflit conjugal. Ainsi, en responsabilisant les deux parents et en les considérant comme des acteurs impliqués à part entière, aux côtés des professionnels, dans les décisions judiciaires qui seront prises, nous estimons que l’intérêt de l’enfant sera pris en compte de manière optimale. En effet, une prise en charge consensuelle entre ses parents favorisera la sérénité et le sentiment de sécurité de l’enfant qui n’aura pas eu à prendre parti dans le conflit parental. Une attention particulière est accordée au maintien des relations de l’enfant avec chacun des parents, car il n’est pas rare que la conflictualité parentale ait comme répercussion une rupture des liens entre l’enfant et l’un de ses parents, l’enfant prenant le parti de l’un des deux pour pouvoir sortir du conflit de loyauté dans lequel il est emprisonné.

Comment le SEASP se positionne-t-il dans le réseau et collabore-t-il avec l’autorité de protection de l’enfant et le tribunal civil?

Dans le cadre de ses interventions, le SEASP collabore étroitement avec plusieurs organismes du réseau genevois actifs dans le domaine de la médiation, du soutien à la parentalité et de la thérapie, prônant la prise en charge interdisciplinaire des séparations parentales conflictuelles. Depuis 2019, cette collaboration s’est structurée à travers des protocoles de collaboration, qui engagent le SEASP à garantir, d’une part, la transparence du processus pour les parents et, d’autre part et en cas de procédure judiciaire en cours, la communication envers les instances judiciaires mandantes. La réussite du processus repose incontestablement sur le respect de ces engagements de la part du SEASP.

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